BlogL'esport en question #9 : La nation de l'esport

Pour les fans d’esport du monde entier, il existe un pays qui possède l’image d’eldorado du gaming. Ses représentants terrorisent les diverses compétitions internationales et amassent les trophées sur tous les jeux qu’ils investissent. En Occident, les légendes expliquant la réussite de cette nation si nombreuses qu’il est parfois difficile de démêler les faits des fantasmes. Attachez vos ceintures et mettez-vous en mode avion, aujourd’hui nous vous emmenons au Pays du Matin Calme, la Corée du Sud.

Par Olivier Fortz

Quand on analyse les résultats des compétitions mondiales sur différents jeux vidéo, une anomalie statistique fait son apparition : l’omniprésence des joueurs coréens au plus haut niveau. Sur les 12 derniers mondiaux du jeu League of Legends, 7 d’entre eux ont été emportés par une équipe Coréenne. En 2019, au sein de la ligue professionnelle du jeu Overwatch, 57% des joueurs étaient d’origine sud-coréenne. Sur Starcraft II, l’un des premiers jeux à avoir démocratisé sa dimension esportive, les coréens ont également longtemps dominé la scène internationale. Leur domination fut telle que certains classements des meilleurs joueurs de l’histoire placent uniquement des joueurs coréens aux cinq premières places, et placent un total de 8 joueurs de cette nationalité dans le top 10. Cette domination trouve ses raisons dans divers facteurs, mais les analyses occidentales de ce phénomène ont parfois tendance à exagérer la réalité ou à négliger certains facteurs. Pour mieux comprendre ce qui fait la spécialité des joueurs coréens par rapport aux autres athlètes esportifs, prenons le temps de mieux comprendre leur culture et leur vision de ce secteur.

Le premier élément qui peut expliquer cette suprématie coréenne vient d’un ensemble de choix économiques posés par le pays à la fin des années 90. En effet, suite à la crise économique des pays asiatiques de 1997, la Corée qui s’était construite autour d’industries lourdes (acier, pétrochimie, …) s’est retrouvée dans l’obligation de développer de nouvelles industries pour ne pas se faire dépasser par ses voisins en plein #développement et redresser son économie. Forte d’une société lourdement éduquée, elle se décide à entrer dans une industrie très complexe que le pays observe depuis longtemps. C’est ainsi que les grands groupes coréens (les chaebol) se sont lancés dans l’industrie électronique de façon massive, avec à la tête des entreprises comme Samsung Electronics. Cette entrée massive sur le marché permet au pays de profiter d'ordinateurs relativement bon marché et d’une connexion internet de bonne qualité. La population étant fortement centralisée, une grande majorité des coréens peut profiter de ces infrastructures de qualité. Ces entreprises vont ensuite développer en masse les PC-bangs, des cybercafés aux tarifs extrêmement abordables (la concurrence poussant à fixer les tarifs les plus attractifs possibles) et offrant les meilleures conditions de jeu possibles. Entre 1998 et 2001 ans, le nombre de PC-bangs passe d’une centaine à près de 23 000. Là, des milliers de coréens peuvent venir jouer à leurs jeux favoris, en profitant d’un bon niveau de confort et d’un matériel de qualité, le tout pour un prix abordable. Petit à petit, les adolescents coréens peupleront en masse ces centres de loisir, qui leur offriront la possibilité de s’entraîner jour après jour sur les différents jeux compétitifs en vogue. Cet afflux massif de jeunes joueurs dans les PC-bang est également lié à un autre aspect de la culture coréenne : la forte compétition dans le milieu scolaire.

En Corée, la réussite majeure dans une vie est d’obtenir un poste au sein de l’un des grands groupes industriels du pays, un des Chaebols. Pour cela, il ne faut pas simplement avoir un bon CV et une lettre de motivation adaptée : il faut faire partie des meilleurs étudiants de l’une des meilleures écoles du pays. Plus précisément : il faut avoir étudié au sein de l’Université Nationale de Séoul, de l’Université de Corée ou de l’Université Yonsei. En effet, les grands groupes recrutent presque exclusivement dans ces trois écoles, et un poste au sein d’un de ces groupes signifie un salaire élevé et une stabilité de l’emploi. Dès lors, les jeunes coréens sont placés dans un modèle de compétition extrême dès leur plus jeune âge. A l’école secondaire, chaque élève est en #compétition avec l'entièreté de sa classe et doit montrer le meilleur niveau scolaire possible jusqu’au jour le plus important de leur vie : l’examen de fin du lycée. Seuls les 1% des meilleurs résultats à cet examen peuvent entrer dans les trois grandes universités, ce jour est donc extrêmement important pour le pays qui se met à l’arrêt et met un maximum d’éléments en place pour que les étudiants ne subissent pas de désagrément. Ce climat de compétition extrême a deux effets qui nous intéressent dans le cas de l’esport. Non seulement, il crée une culture du travail acharné, presque maladif, qui place les joueurs coréens dans une disposition à s’entraîner sans relâche pour être le meilleur. Si mon adversaire ou mon équipier s’entraîne encore une heure, alors je dois également m’entraîner une heure de plus. Mais ce travail acharné crée également un autre besoin : celui de trouver des moments de détente, de trouver des moments pour soi. Et c’est là que nos PC-Bangs entrent en scène.

En créant un divertissement peu cher et accessible aux lycéens, ouverts à l’heure où ceux-ci sortent des cours et sont censés aller suivre des cours particuliers, les PC-bang ont créé une échappatoire à tous ces élèves qui n’en peuvent plus de travailler sans arrêt. Plutôt que de payer des cours particuliers pour continuer à travailler leurs résultats scolaires, certains vont donc faire le choix d’aller passer quelques heures dans un de ces lieux de divertissement, pour jouer aux jeux disponibles et se détendre. Ces moments de détente et d’indépendance sont rares pour un jeune coréen, ils en profitent donc au maximum.

En combinant cet esprit de compétition extrême à ce divertissement accessible, les serveurs de jeu coréen sur les jeux en ligne sont donc peuplés de milliers de joueurs ayant pour seul objectif d’être le meilleur de tout le pays. De plus, ces PC-bang étant extrêmement nombreux, le nombre de joueurs en Corée sur certains jeux est parfois deux fois plus élevé que celui de l’Europe toute entière ! Si les Coréens ne sont donc pas naturellement meilleurs aux jeux vidéo, leur grand nombre et leur acharnement à dépasser leurs adversaires permet l'ascension de joueurs hors du commun, qui rejoindront ensuite les meilleures équipes. Il est évident que l’encadrement coréen a pendant longtemps été supérieur à l’encadrement des autres pays. En effet, dès les années 2000 l'ASBL KeSPA (Korean e-Sports Association) est fondée avec le soutien du gouvernement, pour organiser le secteur et l’encadrer au mieux. Contrats de joueurs et de coachs, réglementation autour des salaires ou des conditions d’#emploi, la KeSPA aide le secteur à se développer de manière saine et professionnelle. Tout cela pousse le gouvernement à faire de l’esport un #sport officiel.

Au-delà de ce soutien au travers d’une institution, on peut noter le soutien économique des chaebols qui détiennent certaines des plus grandes équipes. On peut citer T1, l’équipe de SK Telecom (trois fois champions du monde sur League of Legends) ou encore Samsung, avec leur équipe Samsung Galaxy (auparavant Samsung White et Samsung Blue). Enfin, très tôt les médias s’intéressent au domaine, avec la création de chaînes de télévision spécialisées dans la diffusion de matchs compétitifs, ainsi que les nombreux articles à propos d’esport qui vont investir les journaux.

Si les esportifs ne sont donc pas les “ultra-stars” que les occidentaux présentent parfois, et que l’esport n’est pas non plus un sport national qui serait plus populaire que le #football ou le #baseball (sports majeurs en Corée), force est de constater que ce secteur possède une longueur d’avance au Pays du Matin Calme. Si tous les principes qui ont fait évoluer ce divertissement aussi rapidement en Corée ne peuvent pas s’appliquer chez nous, certaines grandes lignes pourraient tout à fait y trouver leur place. Parmi celles-ci, une meilleure mise en avant médiatique et un meilleur encadrement aux yeux de la loi pourraient être des pistes institutionnelles à suivre. Pour le secteur professionnel en tant que tel, l’intraitable esprit de compétition des coréens, leur respect de la hiérarchie et des coachs, et leur art de mettre en scène les événements de façon spectaculaire pourraient être de bonnes inspirations pour pousser l’esport européen encore plus loin.

Vous l’aurez compris, si l’esport occupe aujourd’hui une place importante en Corée, c’est grâce à un ensemble de cause culturelles et structurelles, mais également grâce à un ensemble de choix qui ont été portés par des acteurs, prêts à prendre le risque de se lancer dans un secteur à peine naissant. Si la Belgique, et même l’Europe, veulent se montrer au niveau, il est nécessaire d’accélérer la cadence et d’encadrer au mieux ce secteur, ce divertissement du futur. Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à nous le faire savoir et à réagir à tout ce qui a été dit. Qui sait, peut-être que de ces discussions pourraient naître de nouvelles idées pour développer ce fabuleux milieu qu’est l’esport ? Enfin, si vous aussi l’aventure esportive vous tente, que ce soit comme joueur, spectateur, ou partenaire, n’hésitez pas à nous rejoindre. Vous pourrez trouver plus d’informations sur notre site, https://www.imperium-esports.be.

Cet article a fortement été inspiré par les vidéos de TheGreatReview pour MGG (https://youtu.be/qlYQEv6nB74) et Mr Sozer (https://youtu.be/M5lgJUksFNI).