BlogL’esport en question #11 : L’esport en Belgique

L’industrie du jeu vidéo est en pleine explosion partout à travers le monde. Ce secteur est aujourd’hui l’industrie culturelle la plus rentable au monde, avec une valeur estimée à 5 fois celles du cinéma et de la musique cumulées. En Belgique, si nos formations dans le secteur font parler d’elles tout autour du globe, nos studios commencent seulement à grandir et à prendre une place au sein de notre économie. Pourtant, il reste une dimension du monde vidéoludique qui peine à trouver sa place au sein de notre plat pays: la compétition. Aujourd’hui, il est temps de faire un bilan sur l’état du secteur de l’esport en Belgique.

Par Olivier Fortz

Depuis une dizaine d'années, le secteur de l’esport est en pleine explosion partout à travers le monde. Quand on pense aux régions qui voient leur écosystème esportif grandir, on pense aux Etats-Unis ou à l’Asie, mais certaines pays européens comme la France, l’Allemagne ou l’Espagne se sont également lancés dans ce secteur à vive allure. En Belgique pourtant, malgré quelques initiatives qui fonctionnent tant bien que mal, le secteur peine à trouver sa place. Faible présence médiatique, manque de statuts légaux et difficultés financières : analysons ensemble quelques racines qui entravent le chemin de l’esport belge.

Le premier point qui frappe quand on s’intéresse à l’esport, c’est à quel point ce secteur est méconnu en Belgique. Pour s’en rendre compte, il suffit de regarder le peu d’articles qui paraissent dans la presse pour en parler. Hormis la RTBF et sa récente branche RTBF Ixpé, dont le cœur du sujet est le gaming et l’esport, les autres médias semblent regarder ce secteur de loin: RTL ne semble pas prêt à payer de rédacteur spcialisé dans le domaine et la DH ne possède qu’un seul rédacteur, avec un faible budget, pour entretenir la section esport contenue au sein de sa section sports. Les médias s’intéressant sérieusement à l’esport sont peu nombreux. Pourtant, l’intérêt des médias pour une discipline permet bien souvent de toucher un public plus large et de créer un engouement autour de celle-ci. De plus, les revenus liés aux droits de diffusion des matchs de compétition pourraient contribuer de façon non négligeable à la survie des structures esportives. Malheureusement, l’état actuel des choses demande à un acteur de se mouiller, de prendre des risques. Il peut être difficile pour le public de découvrir l’univers compétitif des jeux vidéo si les médias ne s’y intéressent pas.

Mais de l’autre côté, choisir de s’intéresser à un sujet qui souffre d’une faible audience est un risque que les médias ne peuvent pas toujours prendre, étant donné que leurs revenus sont également basés sur les audiences de leurs programmes. Le problème qui apparaît alors est qu’en Belgique, les équipes manquent de financement. Ce manque de financement crée une véritable fuite de nos talents, qui préfèrent bien souvent partir travailler au sein de ligues plus prestigieuses et surtout mieux encadrées. Sans moyens suffisants pour encadrer et payer les joueurs stars, le niveau régional s’en retrouve diminué. Au-delà du manque d’intérêt médiatique, les spectateurs intéressés par la compétition n'ont que très peu d’intérêt pour les compétitions belges, qui sont souvent associées au Benelux. Le manque de sentiment national et l'affaiblissement de notre région dû à la fuite des talents sont donc les deux facteurs principaux des faibles audiences de l’esport en Belgique. C’est le serpent qui se mord la queue: sans changement de paradigme de l’un des deux côtés, difficile pour l’esport de continuer à grandir. Malheureusement, sans investissement financier pour que le niveau compétitif soit tiré vers le haut, difficile de donner envie aux spectateurs de regarder les compétitions. D’un autre côté, sans spectateurs pour regarder les compétitions, difficile pour les médias d’investir dans ce secteur. Pourtant, certains de nos pays voisins ont réussi à développer un secteur esportif solide, et ce sans que les médias ne soient particulièrement impliqués. C’est le cas de la France notamment, qui a vu son secteur porté par troisième ensemble d’acteurs : les influenceurs.

Avec l’avènement des réseaux sociaux, et plus précisément des plateformes de diffusion comme Youtube et Twitch, les créateurs de contenu spécialisés dans le gaming n’ont fait que grandir, que ce soit en termes de professionnalisme et en termes d’audience. D’une part, certains d’entre eux se sont spécialisés dans la diffusion et l’analyse de compétitions existantes (comme OTP qui commente la scène League of Legends en français). D’autre part, les créateurs spécialisés dans le gaming se sont récemment lancés un à un dans une nouvelle aventure : la création de clubs d’esport. Pour ces entrepreneurs qui ont grandi en jouant aux jeux vidéo, créer leur propre équipe est un rêve qui devient réalité. Au-delà de leur propre intérêt dans ce nouveau rôle de propriétaire d’équipe, leur principal apport au secteur est évidemment leur communauté. Avec l’augmentation des clubs d’influenceurs, ce sont de toutes nouvelles communautés qui plongent dans le monde de l’esport. Les créateurs de contenus font donc office à la fois de diffuseurs, en diffusant les match de leur équipe, mais également parfois de pédagogues, de vulgarisateurs, introduisant les non-initiés de leur communauté au sein de ce secteur parfois complexe. Le problème de la Belgique à ce niveau est son absence d’influenceurs à la communauté solide. La diffusion sur les plateformes comme Twitch et Youtube n’étant pas liée à la localisation, choisir de déménager ou de rester dans son pays n’influence en rien la visibilité d’un créateur. Que ce soit en Flandre ou en Wallonie, la plupart des des influenceurs se tournent donc vite vers d’autres pays, généralement plus avantageux en termes de taxes ou de possibilités professionnelles. Comment en vouloir à ces jeunes entrepreneurs pour qui déménager peut signifier se rapprocher de collègues, d’une audience plus large ou simplement se payer un vrai salaire ? En termes de législation favorisant la présence d’influenceurs au sein de notre économie, la Belgique est en retard, et ce problème se perpétue au sein du secteur de l’esport.

Depuis octobre 2016, les joueurs professionnels français ont accès à un statut officiel d’esportifs, tant qu’ils font partie d’un organisme reconnu par le ministère du numérique. Cette évolution dans la loi démontre un réel intérêt de la part des politiques, qui se rendent compte de l’importance d’encadrer correctement le milieu. Ce constat peut également se partager avec la Corée du Sud, dont nous vous parlions dans un précédent article, qui s’est très tôt intéressée à la mise en place de règles pour entourer le secteur et soutenir son développement. En Belgique, en comparaison, les joueurs doivent passer par des statuts d’employés, d’auto-entrepreneurs ou d’étudiants travailleurs pour vivre de leurs performances. Le problème de ces statuts vient de l’absence de salaires normalisés, de conditions d’emploi claires et de protection des joueurs. Devenir joueur professionnel en Belgique est un parcours du combattant, et on ne décompte plus les arnaques ou les salaires non payés, par des organismes profitant de la naïveté de joueurs souvent très jeunes ou souffrant également d’un manque

Pour continuer avec les institutions, ce manque de soutien se retrouve également du côté des organisateurs de tournois et d’événements. Là où certaines villes françaises soutiennent les événements qu’elles accueillent à hauteur de plusieurs dizaines, voire centaines de milliers d’euros, les villes belges peinent parfois à proposer le moindre soutien financier, même pour des événements ayant déjà fait leurs preuves. Le financement d’événements issus du secteur de l’esport est un choix qui peut sembler risqué pour ceux qui n’y sont pas éduqués. Dès lors, les organismes travaillant à la promotion de ce milieu en Belgique ont un rôle de promotion, voire presque d’éducation à ce secteur, qui s’avère plus que nécessaire. Si cette mise en avant est importante au niveau des pouvoirs publics, elle l’est également au niveau d’une autre source de financement : les marques. En raison de l’absence de revenus médiatiques, le sponsoring est actuellement l’une des principales options de financement pour tous les événements et toutes les compétitions esportives à travers le monde. Historiquement, ce sponsoring était issu à 80% de marques issues de l’univers des jeux vidéo : matériel informatique, fournisseurs d’accès à internet, sites de vente de jeux, … Pourtant, de plus en plus de marques s’intéressent au secteur de l’esport. Si l’intérêt croissant des entreprises pour le secteur est une aubaine pour toutes les sociétés qui profitent de leur soutien économique, il est important de noter que cet intérêt est une réponse idéale à un défi marketing très précis. Pour les marques, réussir à cibler la tranche des 15-25 ans, qu’ils soient déjà des clients potentiels ou de futurs clients, est l’un des défis marketing les plus difficile à résoudre. L’esport est une porte d’entrée idéale pour toutes ces marques, l’audience des manifestations esportives étant principalement composée de jeunes âgés de 15 à 25 ans, généralement très engagés et fort actifs sur les réseaux sociaux. Ces trois caractéristiques représentent une véritable mine d’or pour tous les acteurs soucieux de se construire une image positive auprès de la génération future. Malheureusement, la culture des jeux vidéo et de l’esport ne semble pas toujours être ancrée auprès des personnalités en charge des décisions, que ce soit au niveau des pouvoirs publics ou des entreprises. L’espoir subsiste qu’avec l’arrivée massive d'adultes nés à partir des années 80 et ayant baigné dans cette culture “geek” depuis très jeune le développement du secteur de l’esport en Belgique s’accélère.

Si le secteur peine à se développer pour l’instant, il est important de noter l'existence d’initiatives et d’acteurs sérieux, qui aident réellement le secteur à se développer. On peut par exemple parler des clubs de football qui décident de se doter d’une branche esport, comme le KRC Genk. On peut également citer la RTBF qui s’est créé une branche spécialisée dans l’esport et le gaming avec RTBF Ixpé, et qui diffuse les compétitions officielles de League of Legends pour le Benelux (les Elite Series). Le groupe Unlocked (anciennement Meta) s’investit également énormément pour développer le milieu. Malgré leur récente décision de développer leurs activités internationales par manque d’opportunités en Belgique, ils sont notamment les créateurs de la Belgian Student League, un circuit compétitif à destination des étudiants. Ce circuit a ainsi donné naissance à de nombreuses équipes étudiantes partout à travers le pays, qui aident à développer et repérer les talents de demain. Parce que des talents belges dans le domaine de l’esport, il en existe ! On peut par exemple citer Gabriël “Bwipo” Rau, Yasin “Nisqy” Dinçer et Raphaël “Targamas” Crabbé, joueurs professionnels sur le jeu League of Legends au plus haut niveau européen, ou bien Benjamin “Eversax” Wagner coach de la Karmine Corp sur le jeu Rocket League. Mais surtout, il ne faut pas oublier Eefje “Sjokz” Depoortere, journaliste indépendante et présentatrice reconnue à l’internationale sur différents jeux, principalement League of Legends. Notre pays existe à l’internationale et à déjà vu l’organisation de tournois majeurs en son sein, notamment le PGL Major Antwerp de 2022, un tournoi majeur pour le jeu Counter-Strike : Global Offensive. L’un des enjeux du secteur de l’esport dans le futur est donc de continuer à soutenir ces événements majeurs lorsqu’ils ont lieu en Belgique, mais surtout de soutenir les acteurs présents dans notre plat pays pour leur permettre de grandir et de donner une place plus importante à la Belgique dans l’écosystème international de l’esport. À cet égard, certaines initiatives comme WalBru Esport permettent de travailler à soutenir le secteur en l’encadrant en termes de statuts légaux et de prévention sur la santé. Si tous les acteurs du milieu n’y sont pas encore représentés, l’existence de ce genre d’initiative est une preuve que de plus en plus de personnes essayent de faire bouger les choses !

Nous arrivons à la fin de ce tour d’horizon du secteur belge de l’esport. L’état actuel des choses n’est peut-être pas très glorieux, mais nous sommes persuadés qu’avec de bons investissements et une présence d’acteurs sérieux, ce divertissement pourrait atteindre son plein potentiel. Si cet article vous a plu, n’hésitez pas à nous le faire savoir et à réagir à tout ce qui a été dit. Qui sait, peut-être que de ces discussions pourraient naître de nouvelles idées pour développer ce fabuleux milieu qu’est l’esport ? Enfin, si vous aussi l’aventure esportive vous tente, que ce soit comme joueur, spectateur, ou partenaire, n’hésitez pas à nous rejoindre. Vous pourrez trouver plus d’informations sur notre site, https://www.imperium-esports.be.